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Interview de Corbeyran (BD Zoom - 2001)

« Le chant des Stryges » A la différence d’autres scénaristes, Eric Corbeyran ne se catalogue pas. D’un éclectisme surprenant, sa production s’enrichit en permanence de nouveaux bijoux, comme en témoigne le récent « Le phalanstère du bout du monde » qui vient de paraître aux éditions Delcourt. Entretien autour du Chant des Stryges et de toute la « Galaxie Corbeyran ».

1. Alors que « Vestiges », un nouvel épisode de votre série « Le chant des Stryges » vient de sortir, pouvez-vous nous définir ce qu’est exactement un Stryge ?

Nous essayons de le découvrir. Je ne peux donc pas répondre directement à la question puisque c’est l’objet de la série. Un stryge est une créature, une apparition à laquelle sont confrontés les personnages des séries où elles interviennent et tout le mystère repose sur « Qui sont-elles, Que sont-elles, Que veulent-elles ? », toute une série de question qui vont nous amener peu à peu à nous pencher sur notre propre humanité.

2. Quelle est l’origine des Stryges ?

En terme étymologique, le Stryge est une créature féminine plutôt secondaire de la mythologie grecque. Mais elle peuple beaucoup de légendes d’autres civilisations, sous un autre nom. Nous avons donc inventorié toutes les références à des créatures ailées maléfiques et on a créé le vocable Stryge qui, par extension, signifie « créature monstrueuse qui a l’humanité sous son emprise ».

3. On retrouve ces créatures à travers les âges, peuplant plusieurs séries …

De manière exhaustive et en descendant le temps, on trouve d’abord une série médiévale, « Le clan des chimères » (1 tome avec Suro). Puis vient Le maître de jeu (2 tomes avec Charlet), dont l’action se déroule sur une île retirée, à notre époque, avec des flash-backs au 19ème siècle. Le chant des Stryges (5 tomes avec Guérineau ) – la série mère – est situé de nos jours à New York. Ces trois séries seront prochainement complétée par une quatrième, dans un univers de science fiction : Les Hydres d’Arès (1 tome à venir début 2002 avec Moreno).

4. A quelle époque se situera cette quatrième série ?

Aux alentours de 3400 … et des brouettes !

5. Les Stryges ont donc encore une longue vie ?

C’est exactement ce que j’essaye de vous dire ! (rires) Ils sont très vieux et ont de l’espérance de vie.

6. Y-a-t’il d’autres séries prévues dans cet univers, en plus de ces quatre ?

Non, pas pour le moment.

7. Ne courrez-vous pas le risque, même si l’univers des Stryges se limite à ces quatre séries, d’en faire trop ?

Nous essayons, avec les différents dessinateurs qui travaillent avec moi, d’aborder le thème de manière originale et dans des registres radicalement différents. Pour vous donner un exemple : les toutes premières images du « Maître de jeu » sont constituées d’apparitions de Stryges alors que l’album entier du « Clan des chimères » n’en recèle aucune trace, à l’image tout au moins. On aborde à chaque fois un aspect différent du mythe avec des dessinateurs qui ont une personnalité différente et sans se répéter. Il faut dire aussi que les différentes séries dont nous avons parlé se lisent tout à fait indépendamment les unes des autres, même si, mises en perspective les unes par rapport aux autres, on obtient quelque chose d’encore plus fort. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu « Le chant des Stryges » pour comprendre « Le clan des Chimères », et vice-versa. C’est un argument fort pour les lecteurs qui craindraient de s’ennuyer ou de voir la série tourner en rond.

8. Avec « Le chant des Stryges » et ses séries parallèles, vous avez publiés 7 ou 8 albums cette dernière année…

A peu près, entre ce qui est sorti et ce qui va sortir avec Kid Korrigan, Le phalanstère du bout du monde, la suite de Petit verglas et le hors série des Stryges, qui a été un album à part entière, réalisé en peu de temps et qui balayera l’univers des Stryges et des différentes séries pour ceux qui ne les connaissent pas. La raison tient au fait que je travaille avec beaucoup de dessinateurs différents. J’ai en plus la chance de travailler vite avec des dessinateurs qui travaillent vite.

9. Dans l’univers du Chant des Stryges, on trouve des séries historique, fantastique, de science fiction. Par ailleurs, vous traitez également de l’enfance, de l’humour, de l’onirisme avec Le cadet des Soupetard, Sales Mioches, Kid Korrigan , … D’où vous vient cette inspiration si éclectique ?

Je ne suis que le porte parole de mes dessinateurs. J’essaye de coller aux maximum à leurs aspirations et j’espère y parvenir. Il faut avouer que le fait de travailler avec des personnes aussi radicalement différentes me conduit forcément à faire des choses aussi distinctes les unes des autres. Personnellement, Je suis autant passionné par le moyen-âge que par l’humour ou encore le thriller. J’aime tous les genres. J’ai des goûts très éclectiques, que je sois consommateur de roman, de BD, de film, … ou de créateur de BD. C’est un des grands plaisir du métier de scénariste, plus rapide que celui de dessinateur, que de pouvoir passer d’un univers à l’autre sans rester à chaque fois 6 mois ou un an sur le même album.

10. Comment faites vous le choix de vos dessinateurs, qui sont souvent des jeunes dessinateurs ?

J’essaye de me laisser séduire par un graphisme que je souhaite voir m’interpeller et me donner envie de réagir. J’aime les dessins qui ont une personnalité forte. J’aime aussi me laisser surprendre.

11. Récemment sont parus deux œuvres originales, « Kid Korrigan » et « Le Phalanstère du bout du monde ». Que pouvez vous nous dire de ces deux albums ?

« Kid Korrigan » est ma première expérience, ma première incursion, dans un format qui m’est inhabituel, à savoir les gags d’humour en une planche. C’est la première fois que j’explore avec un dessinateur cette veine assez classique de la BD que nous avons essayé de traiter d’une manière qui n’est pas classique, que ce soit par les thèmes abordés ou le graphisme de Regis Lejonc. Régis est une espèce de météorite qui vient d’arriver dans le monde de la BD. Je le connais depuis pas mal de temps et j’avais déjà collaboré avec lui sur des travaux de petites distances, comme des histoires courtes dans « Paroles de Taulard » et l’envie nous a pris d’explorer un univers profond mais dérisoire, philosophique mais creux … C’est ce qu’on a traduit par la présence de nos deux personnages antagonistes, le tout petit gnome qu’on a peine à visualiser sur l’image et le gigantesque dragon qui ne rentre jamais complètement dans le cadre et qui est toujours coupé par le bord de la case. Voilà : du très grand et du très petit, du très dérisoire et du très profond, du triste et du rigolo. J’espère que cet album rencontrera un succès suffisant qui nous permettra d’en faire d’autres. J’ai déjà développé beaucoup d’idées sur ce mode. Cela constitue en tout cas pour nous la concrétisation d’un amitié et pour Régis, un premier pas dans la BD.

12. Et « Le phalanstère … » ?

« Le phalanstère du bout du monde », c’est tout le contraire ! Ce n’est pas du tout de l’humour. J’ai écrit le récit d’une traite, un peu comme un cauchemar d’enfant que j’aurais fait et que j’aurais relaté à mon réveil. Je ne sais pas trop comment définir cet album, sauf qu’il est le reflet, encore une fois, de l’emprise des adultes sur le monde de l’enfance. Un thème qui m’est assez cher et qui me terrifie.

13. Pourquoi avoir choisi un phalanstère ?

J’aime bien le mot ! (sourire) et j’aime bien ce qu’il recoupe, cette tentative avortée de la recherche de l’idéal. Le phalanstère n’a jamais fonctionné et j’aime bien l’idée qu’à un moment donné, certaines personnes se soit souciées du bonheur d’autrui, au point de le sur organiser. L’utopie part toujours d’un bon sentiment pour finir sur une mauvaise pente. L’idée était de situer l’histoire dans un lieu qui aurait du être quelque chose, et qui finalement en est le contraire puisque il s’agit d’un espèce d’enfer où on enferme les enfants, on les empêche d’évoluer, de créer. C’est un lieu de « conservation en l’état ». Rien ne bouge, rien ne change, tout est immuable, tout s’apprend et se réapprend, tout s’invente et se réinvente. C’est un peu un tonneau percé et un puit sans fond. C’est un autre thème qui m’est cher : Comment une société, par peur ou frilosité, arrive à bégayer, à stagner plutôt que d’évoluer.

14. Pratiquement tous les albums dont nous parlons paraissent aux éditions Delcourt. Pourquoi ?

De nombreux projet que je publie aux éditions Delcourt ne sont pas vus par d’autres éditeurs. C’est un choix. J’aime le catalogue Delcourt. J’aime travailler pour cet éditeur. De manière personnelle, nous nous entendons parfaitement bien. J’ai trouvé en lui quelqu’un qui m’accueille, qui m’écoute et apprécie mon travail. On a trouvé un terrain d’entente et je suis très content d’avoir apporter un peu de cohérence dans ma production aussi a pu être chaotique à mes débuts et je trouve un peu mes marque chez Delcourt.

15. Quels sont les prochains albums à venir ?

En juin paraissent Petit Verglas 2 et Le Phalanstère du bout du monde. En termes de nouveauté, je prépare un album avec Marc Moréno, un nouveau venu dans la « bande à Corbeyran », qui aura pour titre « Le régulateur » et qui devrait paraître en octobre. L’univers sera celui du steam – punk, science-fiction rétro à base d’élément du 19ème siècle, revisitée à l’ancienne, …

16. Un peu comme dans la série avec Cécil, Le réseau Bombyce …

Exactement. Mais comme je n’ai pas eu envie de poursuivre cette série pour des raisons professionnelles, j’essaye de poursuivre mes envies de Steam punk par ailleurs, en l’occurrence avec Marc Moreno

17. La collection « Jeunesse » vous tente-t-elle ?

Oui. Je suis en train de préparer un album avec ma compagne, Bénédicte Gourdon, qui a écrit un très joli texte sur les indiens. L’album s’intitulera « Petite Louve » et je vous el livre comme un scoop puisque je n’en ai pas encore parlé à mon éditeur Guy Delcourt.

18. Bref, encore beaucoup de pain sur la planche ?

Oui. Le marché de la BD se porte bien aujourd’hui, ce qui se traduit, pour les auteurs, par une grande liberté d’expression et une variété de sujets à aborder. L’exemple du secteur jeunesse est intéressant car les enfants sont à nouveau concernés par la bande dessinée. Je m’en félicite car, avec « Le cadet des Soupetard » en 1993, nous avons été parmi les premiers à relancer de la BD pour les jeunes lecteurs.

19. A contrario, allez vous abandonner certaines séries ?

Après la joie, la tristesse ! J’ai rendu les armes après le tome 2 du Réseau Bombyce. Le second volume du tome 2 d’Abraxas, qui sort en août achèvera l’histoire. Je viens de terminer le scénario du sixième et dernier volume du «Fond du monde, qui s’appellera « La grande terre » et verra le jour en 2002.

20. Merci, et rendez vous aux lecteurs dans l’univers, que dis-je LES UNIVERS Corbeyran …

C’est une galaxie !!! (Rires)

Interview réalisée par BD Zoom (2001)
Propos recueillis par BD Zoom.